Le salaire de l'ouvrier
- Béchara Aoun
- il y a 2 jours
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« L’ouvrier mérite son salaire » (Luc 10,7)
En ce passage de l’Évangile selon saint Luc, Jésus envoie 72 disciples en mission, deux par deux, pour annoncer le Royaume de Dieu. Il leur donne des consignes précises : ne pas emporter d’argent, ne pas saluer en chemin, rester là où on les accueille… et il ajoute : « L’ouvrier mérite son salaire. » Ce verset, souvent repris en contexte social ou professionnel, prend ici tout son sens dans une perspective spirituelle et ecclésiale.
Le Christ reconnaît que ses envoyés, les ouvriers de la moisson, ont une dignité propre. Il ne les considère pas comme des instruments, encore moins comme des mendiants, mais comme des serviteurs légitimes du Royaume, appelés à recevoir ce qui leur est dû : l’hospitalité, la nourriture, le respect. Dans cette parole, Jésus ne parle pas simplement de rémunération matérielle : il parle de justice. L’ouvrier de l’Évangile, celui qui donne sa vie à l’annonce du Royaume, a droit à une juste reconnaissance. Cela nous rappelle que l’Église n’est pas une entreprise, mais une famille où chacun a sa place et sa dignité, et où ceux qui se consacrent au service du Christ doivent être soutenus, spirituellement et matériellement.
Au Concile Vatican II, dans Presbyterorum Ordinis, il est écrit que les prêtres « ont droit à une juste rémunération, puisqu’ils se dévouent au service de Dieu et de l’Église » (§20). Saint Jean-Paul II élargit cette réflexion à tous les travailleurs, affirmant que le travail est une participation à l’œuvre créatrice de Dieu et qu’il mérite toujours respect et reconnaissance. (Laborem Exercens)

Mais nous devons aller plus loin. Car le « salaire » de l’ouvrier du Christ ne se limite pas à un toit ou à un repas. Le vrai salaire, c’est la joie d’annoncer l’Évangile, la paix de voir une âme se tourner vers Dieu, la consolation de participer à l’œuvre du Salut. Ce salaire, c’est la grâce elle-même.
Et c’est là que l’exemple de saint Charbel Makhlouf nous parle aujourd’hui. Après une vie monastique Charbel a vécu dans le dépouillement le plus total dans un ermitage. Le silence, la prière et le jeûne étaient son programme. Et pourtant, il a reçu au centuple : la sainteté était son salaire. Son rayonnement spirituel, après sa mort, est immense. Son tombeau est devenu lieu de guérisons, de conversions, de miracles. Il a été un ouvrier caché du Royaume, et Dieu a récompensé sa fidélité. Saint Charbel nous enseigne que le vrai salaire de l’ouvrier du Christ, c’est Dieu lui-même. C’est l’union à Lui, c’est la sainteté, c’est la fécondité spirituelle, souvent invisible ici-bas, mais immense dans le Ciel.
Cet évangile interroge chaque baptisé : Suis-je fidèle dans la mission que le Seigneur m’a confiée ? Est-ce que je cherche un salaire terrestre, des honneurs, une reconnaissance humaine ? Ou bien suis-je prêt, comme saint Charbel, à tout donner, sans rien attendre en retour, sauf Dieu lui-même ? Et nous, paroisse notre dame du Liban, soutenons-nous ceux qui donnent leur vie pour l’Évangile ? Les aidons-nous à vivre leur mission avec joie ? L’ouvrier mérite son salaire : non pas par mérite humain, mais parce que Dieu veut que sa moisson soit portée par des cœurs libres, et non accablés par l’indifférence ou la pauvreté.
L’ouvrier mérite son salaire. Mais souvenons-nous : le vrai salaire, c’est le Christ. C’est Lui la récompense. C’est Lui la joie. Suivons l’exemple de saint Charbel : travaillons dans l’humilité, dans la fidélité, dans la prière. Et un jour, nous entendrons ces paroles du Maître : « Bon et fidèle serviteur… entre dans la joie de ton Seigneur. » (Mt 25,21)
Septième dimanche du temps de la Pentecôte : L'envoi des 72 disciples
Livre des Nombres 11,16-17.24-29.
Le Seigneur dit alors à Moïse : « Rassemble-moi soixante-dix hommes parmi les anciens d’Israël, connus par toi comme des anciens et des scribes du peuple. Tu les amèneras à la tente de la Rencontre, où ils se présenteront avec toi.
Là, je descendrai pour te parler, et je prendrai une part de l’esprit qui est sur toi pour le mettre sur eux. Ainsi ils porteront avec toi le fardeau de ce peuple, et tu ne seras plus seul à le porter.
Moïse sortit pour transmettre au peuple les paroles du Seigneur. Puis il réunit soixante-dix hommes parmi les anciens du peuple et les plaça autour de la Tente.
Le Seigneur descendit dans la nuée pour parler avec Moïse. Il prit une part de l’esprit qui reposait sur celui-ci, et le mit sur les soixante-dix anciens. Dès que l’esprit reposa sur eux, ils se mirent à prophétiser, mais cela ne dura pas.
Or, deux hommes étaient restés dans le camp ; l’un s’appelait Eldad, et l’autre Médad. L’esprit reposa sur eux ; eux aussi avaient été choisis, mais ils ne s’étaient pas rendus à la Tente, et c’est dans le camp qu’ils se mirent à prophétiser.
Un jeune homme courut annoncer à Moïse : « Eldad et Médad prophétisent dans le camp ! »
Josué, fils de Noun, auxiliaire de Moïse depuis sa jeunesse, prit la parole : « Moïse, mon maître, arrête-les ! »
Mais Moïse lui dit : « Serais-tu jaloux pour moi ? Ah ! Si le Seigneur pouvait faire de tout son peuple un peuple de prophètes ! Si le Seigneur pouvait mettre son esprit sur eux ! »
Deuxième lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 3,1-6.
Frères, allons-nous, une fois de plus, nous recommander nous-mêmes ? Ou alors avons-nous besoin, comme certains, de lettres de recommandation qu’il faudrait vous présenter, ou obtenir de vous ?
Notre lettre de recommandation, c’est vous, elle est écrite dans nos cœurs, et tout le monde peut en avoir connaissance et la lire.
De toute évidence, vous êtes cette lettre du Christ, produite par notre ministère, écrite non pas avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant, non pas, comme la Loi, sur des tables de pierre, mais sur des tables de chair, sur vos cœurs.
Et si nous avons une telle confiance en Dieu par le Christ,
ce n’est pas à cause d’une capacité personnelle que nous pourrions nous attribuer : notre capacité vient de Dieu.
Lui nous a rendus capables d’être les ministres d’une Alliance nouvelle, fondée non pas sur la lettre mais dans l’Esprit ; car la lettre tue, mais l’Esprit donne la vie.
Évangile de Jésus-Christ selon saint Luc 10,1-7.
Après cela, parmi les disciples le Seigneur en désigna encore soixante-douze, et il les envoya deux par deux, en avant de lui, en toute ville et localité où lui-même allait se rendre.
Il leur dit : « La moisson est abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. Priez donc le maître de la moisson d’envoyer des ouvriers pour sa moisson.
Allez ! Voici que je vous envoie comme des agneaux au milieu des loups.
Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales, et ne saluez personne en chemin.
Mais dans toute maison où vous entrerez, dites d’abord : ‘Paix à cette maison.’
S’il y a là un ami de la paix, votre paix ira reposer sur lui ; sinon, elle reviendra sur vous.
Restez dans cette maison, mangeant et buvant ce que l’on vous sert ; car l’ouvrier mérite son salaire. Ne passez pas de maison en maison.
Extrait de la Traduction Liturgique de la Bible - © AELF, Paris
Saint Grégoire le Grand (v. 540-604)
pape et docteur de l'Église
Homélies sur l'Evangile, 17,1-3 ; PL 76,1139 (trad. bréviaire)
« Pour la première fois, il les envoie deux par deux »
Notre Seigneur et Sauveur, frères très chers, nous instruit tantôt par ses paroles, tantôt par ses actions. Ses actions elles-mêmes sont des commandements, parce que, lorsqu'il fait quelque chose sans rien dire, il nous montre comment nous devons agir. Voici donc qu'il envoie ses disciples en prédication deux par deux, parce que les commandements de la charité sont deux : l'amour de Dieu et du prochain. Le Seigneur envoie prêcher ses disciples deux par deux pour nous suggérer, sans le dire, que celui qui n'a pas la charité envers autrui ne doit absolument pas entreprendre le ministère de la prédication.
Il est fort bien dit qu' « il les envoya deux par deux devant lui dans toutes les villes et les localités où lui-même devait aller » (Lc 10,1). En effet, le Seigneur vient après ses prédicateurs, parce que la prédication est un préalable ; le Seigneur vient habiter notre âme lorsque les paroles d'exhortation sont venues en avant-coureur et font accueillir la vérité dans l'âme. C'est pourquoi Isaïe dit aux prédicateurs : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez les sentiers de notre Dieu » (40,3). Et le psalmiste leur dit aussi : « Frayez la route à celui qui monte au couchant » (Ps 67,5 Vulg). Le Seigneur monte au couchant parce que, s'étant couché par sa Passion, il s'est manifesté avec une plus grande gloire dans sa résurrection. Il est monté au couchant, parce que, en ressuscitant, il a foulé aux pieds la mort qu'il avait subie. Nous frayons donc la route à celui qui monte au couchant lorsque nous prêchons sa gloire à vos âmes, afin que, venant ensuite, il les éclaire par la présence de son amour.